Acrobates à tout âge


Ateliers cirque en EHPAD
Existe-t-il un âge limite pour faire bouger son corps ? Ce n’est pas l’avis des équipes de l’Académie Fratellini qui, depuis 2019, proposent des ateliers en EHPADs et ont lancé en 2022 le projet « Acrobates à tout âge » avec les résidences pour personnes âgées Camille Saint-Saëns (Épinay-sur-Seine), Saint-Vincent de Paul (Stains), Constance Mazier (Aubervilliers) et La Seigneurie (Pantin). Un projet sur 3 ans soutenu par la Fondation des Petits frères des pauvres et par la Conférence des financeurs de la Seine-Saint-Denis.
Pourquoi ce projet ?
Difficile, voire impossible, de se déplacer quand on est en perte d’autonomie physique. Ce n’est pas un frein car l’Académie Fratellini se déplace dans les résidences partenaires du projet ! Pour permettre quoi exactement ?
De voir un spectacle
Sur la première année du projet, les apprenti·es de l’école supérieure sont venu·es jouer Signatures de MazelFreten dans les quatre résidences. Cette année, ce sera soit la création du metteur en scène Pierre Rigal Fraternel·le, soit la création jeune public Ça a l’air facile de Béné Borth qui sera présentée dans les établissements.
De pratiquer le cirque
Une fois par mois, trois intervenant·es de l’Académie Fratellini se rendent en EHPAD avec leur bonne humeur et du matériel pour deux heures d’atelier cirque.
De créer un spectacle
L’année prochaine, dernière année du projet, les résident·es qui le souhaiteront pourront créer un spectacle de cirque. Iels joueront devant un public à l’Académie Fratellini !
Voilà plus d’un an que le projet est en route et avec le temps, il s’affine ! À venir cette année, un atelier inédit autour de la chute avec le collectif Sous le Manteau dans le cadre de la programmation de leur spectacle Mikado, petit récit d’effondrement du collectif par l’Académie Fratellini.
Immersion dans un atelier cirque en EHPAD
Nous avons voulu en savoir un peu plus et nous avons suivi trois des sept intervenant·es du projet sur un atelier à La Seigneurie (Pantin).
Angèle, Micheline, Suzette, Alan, André, René, Lucien, Jacqueline, Colette, Huguette… Iels sont une quinzaine à attendre impatiemment la venue de Gustavo Anduiza, Erika Matagne, Isabel Serna Roche, les trois intervenant·es qui les accompagneront pendant deux heures.
Alors que les intervenant·es déchargent le camion, les résident·es sont déjà toutes et tous assis·es en cercle, dans une salle où scintillent les décorations de Noël.

L’un des résident·es s’approche prestement, c’est apparemment un habitué de l’installation des tapis !
Isabel lance un tour des prénoms. Les langues se délient, des sourires se dessinent. On sent que ce n’est pas le premier atelier qu’iels partagent ensemble. Les intervenant·es connaissent déjà les prénoms des participant·es, iels accueillent avec chaleur les nouvelles et nouveaux. Car il y en a !
Gustavo commence l’échauffement : on reste assis·es mais on bouge les bras, la tête, les jambes. On échange en douceur des balles de jonglage avec ses voisin·es. Et surtout, on s’amuse !



Puis, pour celles et ceux qui le souhaitent, croyez-le ou non, on fait des pyramides ! Des simples, bien sûr, mais quand même. Des volontaires, qui pour certain·es ont 90 ans passés, se mettent à quatre pattes. S’assoient alors sur elleux d’autres personnes !

Certain·es participent plus que d’autres, mais toutes et tous s’observent, s’encouragent, s’applaudissent.
On installe l’agrès. Ce jour-là, il s’agit d’une poutre. Sur la poutre, les participant·es sont bien entendu accompagné·es. Deux intervenant·es les parent de chaque côté, un·e autre guide les pieds.

Un monsieur compte à voix haute le nombre de pas que font ses camarades sur la poutre. Il a l’air fier.
L’atelier se termine en douceur avec un travail autour de la coordination. Erika et Isabel distribuent des foulards et donnent le rythme. On lance le foulard, on claque dans les mains, on récupère le foulard !
À la fin, on attrape les mains des voisin·es, on salue (toujours assis·es) et on s’applaudit.
Bravo !

Après l’effort, le réconfort ! C’est l’heure du goûter.
On profite du temps de rangement pour interroger les intervenant·es. Isabel comme Gustavo, cela fait déjà 5 ans qu’iels font ces ateliers.
Pour vous, c’est quoi l’objectif de ces ateliers ?
Sociabiliser
« On ne cherche pas la performance mais plutôt la relation humaine. C’est ça qui les attire. La plupart ne participent pas activement, ils viennent juste regarder. L’une des résident·es ne vient que pour parler espagnol avec Isabel et moi ! » (Gustavo)
Sortir du quotidien
« On essaye de leur faire faire des choses qui sortent de l’ordinaire. On va faire des exercices de coordination, réveiller les réflexes, jouer avec l’équilibre… Parce que ça fait peur quand on vieillit. On fait des pyramides, pour se souvenir qu’on doit faire attention à l’autre. » (Gustavo)
« On les fait rire, jouer, on leur fait ressentir leur corps, on leur propose de faire autre chose que d’attendre. On veut rendre hommage à la vie qu’ils ont eue ! » (Isabel)
Prendre des risques (contrôlés)
« La peur mélangée avec le courage donne des moments de prise de risque qui sont très importants. On connaît leur niveau, on peut les « pousser » soit à refaire, soit à faire un peu plus dur, on sait de quoi ils sont capables. » (Gustavo)
Se préparer à la création d’un spectacle
« Je leur répète à chaque atelier qu’il faut tenir jusqu’au spectacle ! Auquel ils ont déjà bien réfléchi d’ailleurs. Il devrait inclure des foulards, des balles de jonglage, de la poutre et des portés. On n’a pas encore tranché sur le nombre de personnes qui feront partie de l’aventure. Dans l’idée, ce serait cinq personnes par résidence, donc une quinzaine au total. » (Isabel)
Comment monte-t-on un atelier cirque en EHPAD ?
« La première fois, on s’est dit « on va faire la même chose que debout, mais assis·es ». » (Isabel)
« Le tout premier atelier qu’on leur a proposé, c’était un « café jongle ». On s’est assis·es autour d’une table, on s’est présenté·es. On leur a expliqué pourquoi on était là et ce qu’on allait faire ensemble. Puis on a confectionné des balles de jonglage. » (Gustavo)
« Maintenant, on y va lentement, on s’adapte. On discute de ce qui marche, de ce qui ne marche pas. Et puis on acquiert des réflexes : si on prend la poutre, il ne faut pas oublier le petit banc sinon ils ne pourront pas monter. » (Gustavo)
Tu as peur de faire mal ?
« J’ai toujours peur de faire mal. Mais la plupart connaissent leur corps, s’ils se lancent c’est parce qu’ils peuvent le faire.
On a des façons adaptées de les guider, de les attraper. Par exemple, on ne va pas juste tenir la main quand ils sont sur la poutre, on va soutenir à la fois leur coude et leur épaule.
Ça m’a surpris la première fois, quand on porte une personne âgée, c’est tout son corps qui fait du bruit. » (Gustavo)
Et elleux, iels n’ont pas peur ?
« Parfois ils refusent de faire un exercice, puis ils voient que tout le monde le fait et s’en sort bien, alors quand on leur repropose, ils disent finalement « oui ». » (Gustavo)
Iels aiment les ateliers ?
« On a la chance d’avoir de bons retours comme « vous partez déjà ! » ou « on a passé un bon moment ». » (Gustavo)
« On voit la confiance qu’ils prennent à chaque fois. » (Isabel)
« Une personne qui pensait que c’était deux jours avant s’est énervée de ne pas nous voir arriver, cela montre à quel point c’est un moment attendu ! » (Gustavo)
Et vous, vous aimez ces ateliers ?
« Partager le cirque avec des personnes âgées, c’est incroyable. Quand elles étaient petites, le cirque était très populaire. Il n’y avait pas de jeux vidéo, on jouait plus avec ses mains, son corps. On le voit lors des ateliers : beaucoup d’entre elleux savent un peu jongler. Le cirque les rappelle à l’enfance.
Les voir marcher sur une poutre ou s’asseoir sur une personne alors qu’ils n’arrivent pas à monter les escaliers… C’est trop beau.
Ces ateliers sont particulièrement épuisants pour nous, mais on est tellement heureux. Les personnes âgées nous donnent la patate ! » (Isabel)
Tu penses qu’il y a un âge limite pour faire du cirque ?
« Non, on peut commencer le cirque à n’importe quel âge, ce sera juste différent. On n’est pas obligé de tout faire, de tout tester. Regarder c’est déjà très bien. » (Isabel)
« Tant que le corps répond, il n’y a pas de limite au cirque. » (Gustavo)
... Nous voilà de retour à l'Académie Fratellini, où nous n'avons plus qu'à attendre avec patience le résultat de ces trois belles années de projet en EHPAD !